La créativité n’est pas un don, c’est un muscle

Parmi toutes les compétences valorisées dans le monde moderne, une semble encore résister à l’emprise de l’intelligence artificielle : la créativité. Elle intrigue, fascine et se révèle pourtant essentielle, dans l’innovation, l’éducation ou la simple résolution de problèmes quotidiens. Mais comment naît-elle, cette étincelle de génie ? Peut-on vraiment l’entraîner ? Et surtout, à quoi tient ce processus si mystérieux qu’on associe souvent à un éclair de génie ?
Le saviez-vous ? Le 21 avril, c’est la Journée mondiale de la créativité et de l’innovation ! Une occasion de mettre en lumière ces esprits qui imaginent des usages inattendus, résolvent des problèmes de manière originale ou apportent un souffle nouveau à des gestes du quotidien. Dans un monde qui valorise la performance, dédier une journée à la pensée divergente, c’est presque un acte militant. Et si on en profitait pour explorer ce qu’il se passe vraiment dans notre cerveau quand on crée ?
Tout d’abord, il est important de rappeler que la créativité n’est pas un don tombé du ciel. Plusieurs études en neurosciences montrent que la créativité repose sur la coordination de trois réseaux cérébraux distincts. Le premier, appelé “réseau du mode par défaut”, s’active lorsque l’esprit est en repos, en pleine rêverie ou en introspection. Il joue un rôle essentiel dans la production d’idées spontanées. Le deuxième, le “réseau de contrôle exécutif”, intervient pour organiser, filtrer et structurer ces idées. Enfin, le troisième, le “réseau de saillance”, jouerait les sentinelles, dirigeant l’attention vers les informations jugées les plus pertinentes. Ensemble, ces réseaux permettent de transformer une intuition en idée créative structurée.
Cette architecture complexe a été confirmée par des travaux utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle, qui ont permis d’observer l’activation simultanée de ces réseaux lors d’activités créatives. Des chercheurs de l’université de Santé de l’Utah ont utilisé des techniques avancées d’imagerie cérébrale (IRM fonctionnelle) sur des participants engagés dans des tâches créatives, comme la génération d’idées nouvelles. Dans une étude publiée dans la revue Brain en 2024, ils expliquent avoir observé que l’activation conjointe et la coordination entre le réseau du mode par défaut et le réseau de contrôle exécutif sont essentielles pour produire des réponses créatives. La preuve que la créativité n’est pas localisée dans une seule et même région du cerveau.
La créativité, une force à cultiver
Mais tout n’est pas affaire de biologie. La créativité se travaille, comme un muscle. La psychologie cognitive souligne qu’une idée créative naît d’abord d’une confrontation entre des réponses communes, rapidement sollicitées par la mémoire, et des idées plus originales, souvent moins accessibles. Aller au-delà des automatismes demande une implication mentale soutenue. Certains biais cognitifs freinent particulièrement la créativité. Le biais de fixation fonctionnelle nous pousse à ne voir les objets que dans leur usage habituel. L’effet d’ancrage enferme notre pensée autour d’une première idée évoquée, tandis que le biais de conformité nous incite à nous aligner sur les idées dominantes du groupe.
Sortir des sentiers battus exige une gymnastique mentale bien précise. Cela suppose de déjouer les automatismes, de mettre à distance les jugements hâtifs et d’oser s’aventurer hors des chemins tracés. Pour entretenir cette souplesse d’esprit, quelques exercices efficaces existent. On peut détourner des objets du quotidien, pratiquer le brainstorming différé ou utiliser des techniques visuelles de remue-méninges, comme les cartes heuristiques ou les associations d’images, qui aident à explorer les idées de manière non linéaire. Autant d’outils pour muscler l’imagination et, par extension, sa créativité.
Cultiver la souplesse mentale au quotidien
Encore faut-il savoir accueillir l’ennui. Car c’est souvent dans ces instants de “vide” que germe la pensée créative. Lorsque l’on laisse l’esprit vagabonder, libre de toute stimulation, il commence à tisser en arrière-plan des liens inattendus, des idées nouvelles. Pour raviver notre créativité, il devient donc essentiel de nous déconnecter. Faire une pause, embrasser le silence, l’oisiveté, la lenteur. Revenir à des activités simples, presque méditatives comme la marche, le dessin, le jardinage ou la méditation. En somme, ne rien faire, c’est parfois la meilleure façon de faire émerger le neuf.
La métacognition est un autre levier puissant pour stimuler sa créativité. Apprendre à observer et réguler ses propres processus mentaux permet de mieux les orienter. Vous sentez-vous trop rigide dans votre raisonnement ? Votre idée est-elle vraiment originale, ou n’est-elle qu’une répétition de schémas connus ? En vous interrogeant ainsi, vous prenez les commandes de votre pensée, tel un chef d’orchestre dirigeant sa partition mentale. Une étude irano-britannique, publiée en 2023 dans la revue Thinking Skills and Creativity, révèle que les enseignants qui adoptent une démarche métacognitive dans leur pratique pédagogique font preuve de davantage de créativité dans l’enseignement de l’anglais langue étrangère.
N’oublions pas l’importance du contexte social. Une ambiance stimulante, la présence bienveillante de pairs, un climat émotionnellement sécurisant ou encore une touche de saine compétition peuvent jouer un rôle clé dans l’émergence d’idées créatives. Joy Desdevises, doctorante à l’université Paris-Cité, souligne dans sa thèse que si des blocages sociaux comme la peur du jugement peuvent freiner la créativité, certains environnements collectifs, au contraire, l’encouragent. La richesse des interactions, la dynamique de groupe, la diversité des points de vue : autant de leviers qui nourrissent l’imagination. Mais au cœur de tout cela, reste la motivation intrinsèque. Ce plaisir brut de créer, juste pour le bonheur de créer, c’est lui le terreau le plus fertile pour voir éclore des idées nouvelles.
Alors, la créativité… miracle ou mécanisme ? Sans doute un peu des deux. Mais une chose est sûre, elle ne tombe pas du ciel. Elle se travaille, se déclenche, s’alimente. Il faut laisser l’esprit vagabonder, apprendre à voir autrement, à bousculer les codes, à transformer l’ordinaire. Et surtout, créer, sans relâche. Car la créativité grandit avec l’effort, bien plus qu’elle ne naît d’un simple don inné.





